Y-aurait-il eu un flagrant délit de favoritisme ?
Après l’effacement de certaines dettes privilégiant 2 radios « militantes » pour des raisons très floues, la direction de l’OPT subventionne une association à hauteur de 5 millions de francs dans des conditions qui interrogent.
Est-ce que l’objectif de cette association (ADE-N) serait de contrôler les fournisseurs d’accès Internet, tels que Offratel, Can’l, Nautile, Internet NC, MLS ? Un conflit d’intérêts semblerait pouvoir être identifié puisque le trésorier de cette association n’était autre que le directeur général de l’OPT.
Pour redorer son image, l’OPT a lancé une campagne publicitaire mettant en valeur ses généreuses activités « au service de tous ».
Avec la lamentable affaire de la 3G, on a vu l’ancien président de l’OPT Harold Martin, se faire condamner définitivement pour prise illégale d’intérêts (et délit de favoritisme).
Nous allons voir ci-dessous que dans cette affaire de deuxième câble sous-marin pour sécuriser les liaisons internet de la Nouvelle Calédonie, il ne semble pas que l’OPT soit au service de tous.
Pour diversifier l’accès internet par câbles sous-marins, l’OPT lança un premier appel d’offres international à l’intention de sociétés spécialisées que l’Office déclara infructueux.
Premier Appel d’offres
Quatre sociétés y répondirent dont Alcatel Submarine Networks (ASN) et la Société Hawaïki restées en lice.
ASN est une filiale du Finlandais Nokia étroitement lié à l’américain Microsoft. ASN propose de relier la Nouvelle-Calédonie par un câble sous-marin de 1600 kms à un câble international situé au nord-est dans les eaux territoriales de Fidji.
SCCI est une société néo-calédonienne, filiale de la société, de droit néo-zélandais, Hawaïki, propriétaire d’un câble sous-marin reliant l’Australie aux États-Unis. Prenant le relais de Hawaïki, la SCCI propose de relier l’île des Pins et la Grande Terre à la prise de raccordement déjà prévue sur le Câble Hawaïki, située respectivement à 500 kms et à 700 kms.
Le premier appel d’offres se révéla nettement à l’avantage de la société Hawaïki.
Deuxième appel d’offres
Finalement, en octobre 2018, l’OPT décida de rendre infructueux le premier appel d’offres.
L’OPT n’a pas donné d’explications claires sur cette décision. L’autorité de la concurrence ne semble pas avoir eu connaissance des justifications de cette décision dans son rapport.
Un deuxième appel d’offres fut lancé en exigeant que le câble sous-marin passe impérativement par Fidji, ce qui éliminait la participation de tout autre concurrent dont la SCCI avec son câble Tomoo à relier au câble Hawaïki entre la Nouvelle Zélande et la Nouvelle Calédonie.
Cela faisait les affaires du seul candidat restant Alcatel Submarine Networks (Nokia) qui présenta différemment cette deuxième offre avec un investissement de 4,6milliards de F CFP.
L’hebdomadaire national satirique Le Canard Enchaîné nous a révélé que le débit Internet coûterait très cher au Megabit à Fidji, soit 5 fois plus qu’à Sydney et 50 fois plus qu’à Los Angeles.
Source : dessin humoristique du Canard Enchaîné
Délit de favoritisme ? Secret des affaires ?
On a déjà vu dans le passé après les « erreurs » reconnues par un ancien Directeur général (Jean-Yves Ollivaud) et après l’affaire Harold Martin sur la 3G que la transparence semble être un exercice difficile pour cette administration.
Pour rappel, l’OPT est une administration de droit public, en situation de monopole qui n’a pas produit de justifications claires pour avoir rendu le premier appel d’offres infructueux.
Si, il y eut tout de même une justification : celle de faire des économies.
On peut être surpris de cet argument avec un second appel d’offres éliminant le concurrent Hawaiki, qui aurait été nettement moins onéreux.
Le MEDEF, dans le rapport du cabinet-conseil Calia (page 6 des entretiens cités plus bas) déclare qu’ « il est nécessaire de faire le calcul sur du long terme pour voir la durée d’amortissement du surcoût que représente la première option » (celle d’ASN-Nokia).
Donc on ne fait plus d’économies, on admet même un surcoût.
De plus, l’OPT ne justifie pas cette obligation de passer par Fidji. L’OPT a-t-il oublié son objectif premier qui était seulement d’avoir un second câble de sécurisation ?
Rapport édifiant de l’Autorité de la concurrence
La SCCI a déposé un recours le 23 Janvier 2020 auprès de l’Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie (ACNC).
L’ACNC rendit un rapport très complet de 90 pages enjoignant l’OPT de proposer à la SCCI une offre technique et commerciale se concluant sur cet article :
« Article 1er : il est enjoint à l’Office des Postes et Télécommunications de Nouvelle-Calédonie (OPT-NC) de proposer à la SCCI, dans un délai maximum de huit semaines à compter de la notification de la présente décision, une offre technique et commerciale d’accès au réseau fédérateur local pour la fourniture de services de capacités de connectivité internationale à haut débit par câble sous-marin, à des conditions objectives et non discriminatoires et orientée vers les coûts, pour lui permettre l’exercice d’une concurrence effective sur ce marché. »
L’OPT considéra que l’autorité de la concurrence était incompétente compte tenu de son monopole.
Enquête en cours du Parquet National Financier
Sans attendre les résultats des recours judiciaires en cours (surtout de la SCCI), l’OPT a pris la décision de faire réaliser l’installation du Câble de l’ASN (Nokia) pour début 2022.
À la suite du rapport de l’Autorité de la concurrence, le Parquet National Financier(PNF) a ouvert une enquête pour des soupçons de corruption et de favoritisme.
(Source France info : « Pour les juges, ce marché aurait pu faire l’objet de délits de favoritisme, prise illégale d’intérêt et corruption d’agents publics. C’est en tout cas sur ces chefs d’accusation qu’une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet financier de Paris. Joint par NC la 1ere le jeudi 22 Avril, ni l’OPT, ni le président du conseil d’administration Yoann Lecourieux n’ont souhaité s’exprimer. »)
Cette affaire n’est pas sans rappeler celle de l’Aqueduc du Grand Nouméa communément appelé « Grand Tuyau », impliquant le Syndicat Intercommunal du Grand Nouméa et le groupe multinational Suez Eaux, ou encore le marché pour la station d’épuration de Dumbéa.
Intersyndicale et MEDEF sous influence?
Il est à noter que les principaux syndicats de salariés de l’OPT (USTKE, USOENC, Fédération des Fonctionnaires, CFE-CGC) regroupés dans une intersyndicale ont pris le parti de soutenir leur direction générale en soutenant le projet ASN, et bizarrement avec le MEDEF principal syndicat patronal en Nouvelle Calédonie.
Selon le rapport du cabinet Calia Conseil commandé par le gouvernement NC, des entretiens avec le MEDEF (ou seulement certains de leurs représentants?) indiquent des prises de position favorables à l’option ASN(Nokia) qui relierait la NC à un « bon » Hub numérique.
- L’OPT propriétaire de son câble (NC-Fidji) garderait la maîtrise de la bande passante (et après Fidji, où est cette maîtrise ?). De plus selon le MEDEF, l’OPT pourrait vendre son trafic à l’extérieur (Ah bon ! et pourquoi l’OPT ne pourrait pas faire de même avec la deuxième option ?).
- Pour le « MEDEF », l’option Hawaiki serait « un bout de câble », et l’OPT n’aurait plus de maîtrise de la bande passante (mais comment ferait l’OPT pour garder cette maîtrise avec le câble ASN-Nokia dès sa liaison à un câble international ?).
En résumé, le MEDEF soutient l’option ASN-Nokia mais est bien conscient que l’OPT a choisi une option plus onéreuse avec même un surcoût, en contradiction avec sa volonté officielle de faire des économies.
Il faut souligner la tentative du Cabinet-conseil Calia d’éclairer les responsables publics, mais il s’est visiblement fait des illusions.
Pour une autorité de contrôle de l’OPT indépendante
Pour se dégager d’une argumentation aussi incohérente, voire sans queue ni tête, la transparence des instances publiques devrait rester une préoccupation pour tous les syndicats de salariés ou patronaux.
Comme l’Autorité de la Concurrence de Nouvelle-Calédonie, nous réclamons la création d’une autorité de contrôle indépendante pour l’OPT. Nous devons regretter que les syndicats (de salariés et patronaux) ne se soient jamais positionnés pour réclamer la création d’un tel organisme.
En conclusion, nous pouvons penser que le rapport de l’ACNC doit être repris, en vue de comparer dans la transparence les projets des deux sociétés à l’origine en compétition.
Il est de l’intérêt de la Nouvelle Calédonie que le nouveau gouvernement reprenne en main immédiatement ce dossier.
Si on pouvait éviter à Anticor d’intervenir dans cette affaire, le groupe local s’en réjouirait. Nous rappelons que l’objet social d’Anticor est surtout de promouvoir l’éthique en politique, bien souhaitable en Nouvelle Calédonie.
Prochainement, nous apporterons des données comparatives sur les offres en cours.
A suivre…
Thierry Blaisot, référent du groupe local Anticor